DESORIENTALE de Négar DJAVADI

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

DESORIENTALE de Négar DJAVADI

Je ne me souviens plus des circonstances exactes de notre rencontre,  mais d’une discussion, dans le couloir du CNC. Nous avions évoqué le fonds d’innovation audiovisuel, un des derniers projets sur lequel j’avais travaillé, celui où elle avait eu avec sa co-auteur le fonds d’innovation, bref, on a discuté, échangé autour de notre métier.

 

Et j’ai découvert qu’elle avait écrit un premier roman, dont le titre était très fort, en tout cas il me touchait, DESORIENTALE.

 

Je n’ai pu le lire que très récemment, et le livre est à la hauteur de ce que j’imaginais : dense, émouvant, instructif sur une partie de notre histoire contemporaine, attachant, et tout cela traversé par une histoire qu’on imagine parfois personnelle. Elle a accepté de répondre à quelques questions, et je la remercie.

 

 

Quel a été le moteur qui t’a poussé à écrire ce premier roman ? Est-ce qu’il y a eu un événement déclencheur ?

 

Cela faisait des années que j’avais envie d’écrire une saga familiale dont l’action se déroulerait en Iran. Non seulement parce que je suis née dans ce pays, mais aussi parce que l’Histoire de ce pays au XXe siècle reste largement méconnue. Une Histoire particulièrement riche en événements, rocambolesque, tragique, incroyable. Je m’y suis mise quand la série que j’écrivais avec ma consœur Charlotte Pailleux, Tiger Lily, a été arrêtée. Cela faisait des années que nous travaillions sur cette série — saison 1 puis saison 2 (qui n’a pas vu le jour) —, du coup quand France 2 a décidé de ne plus continuer, j’avais envie de passer à autre chose, à une autre écriture. De prendre le temps de raconter une histoire sans que sans cesse quelqu’un intervienne dans l’écriture. De fait, le roman s’est imposé.

 

J’aimerais comprendre ton processus créatif. Tu écris des scénarios, mais là, tu as choisi le roman. Est-ce que le processus créatif est le même ? Quelle a été ta méthode pour écrire ce livre ?

 

Pour écrire ce roman, je n’ai pas du tout suivi le même processus que pour les scénarios : personnages, synopsis, traitement, etc. J’ai composé le livre au fur et à mesure de l’écriture. J’ai beaucoup écrit et beaucoup jeté. J’avais envie d’être libre, de laisser les idées et les images venir, de ne pas être dans l’efficacité du récit dès le départ (d’autant qu’il ne s’agit pas d’un polar) ni dans l’urgence. D’ailleurs, j’ai toujours pensé, et je le pense toujours, que l’écriture vient en écrivant (du moins chez moi). Les plans sont nécessaires bien sûr pour créer l’ossature, mais le fait de se mettre à écrire déclenche une énergie particulière, comme si ça ouvrait les vannes de l’imagination. Le scénario passe fatalement dans les mains d’un réalisateur et d’une équipe technique, mais pas le roman. Avec ce roman, j’avais envie d’être aussi la réalisatrice de cette histoire, c’est pourquoi j’utilise pas mal de procédés cinématographiques, que je nomme même (flash-back, gros plan, zoom…), au sein du livre. 

 

Est-ce que ce tu réfléchis d’abord à l’histoire dans sa globalité, puis ensuite aux personnages, ou alors pars-tu de situations précises qui te permettent de dérouler ce que tu souhaites raconter ?

 

Je pars souvent des personnages, même quand j’écris des scénarios. C’est eux qui me donnent l’envie de les raconter, de les dessiner à travers les mots ou des images, de créer des histoires dans lesquelles ils tiennent un rôle.

Pour « Désorientale » je savais que je voulais raconter l’histoire d’une famille sur plusieurs générations, mais aussi, en parallèle, l’histoire de l’Iran au XXe siècle jusqu’à la révolution de 1979. Du coup, j’ai essayé de lier chacun des personnages à un événement important de ce pays afin de pouvoir mêler les deux. Cette construction m’a permis de tenir ensemble ces deux aspects du roman.

 

Est-ce que l’histoire des ancêtres des protagonistes t’a été inspirée par ta propre famille ou est-ce une pure fiction ?

 

En Orient, les ancêtres tiennent un rôle très important dans la vie d’une famille et même dans celle de l’individu. Dès l’enfance, on nous parle d’eux, on nous raconte leurs histoires, en les enjolivant, en grossissant les traits, en les rendant grotesques ou héroïques. De fait, j’ai grandi avec ces fantômes dont l’existence était reliée au mien à travers des récits largement fictionnels, puisque passés par le filtre du temps et de la mémoire.

Les personnages de « Désorientale » découlent en partie de ce que j’ai pu imaginer de mes propres ancêtres. Mais ce qui était vraiment une source d’inspiration c’est la faculté des orientaux à raconter des histoires qui ouvrent dans cesse sur d’autres histoires, sur d’autres personnages. C’est la façon dont ils s’arrangent avec leur passé pour en faire une légende. C’est pourquoi la narratrice, Kimiâ, tente de retranscrire non pas ce qu’elle sait de ses ancêtres, mais les récits qu’elle a entendus de son oncle à leur propos. Sont-ils exacts, fidèles à la réalité ? Elle n’en sait rien.

 

En lisant ton livre, j’ai mesuré à quel point nous ne connaissons pas l’histoire contemporaine de l’Iran, à quel point, nous avons pu oublier la culture persane si importante, si riche. Est-ce que, en écrivant ton livre, tu souhaitais restituer, ne serait-ce qu’un peu, l’importance de cette culture, qui n’est ni occidentale, ni complètement orientale, ou en tout cas, pas de l’Orient dont on nous parle tous les jours. Ton livre m’a donné envie de voir le film PERSÉPOLIS de Marjane Satrapi, de continuer à voir les films de Asgar Farhadi, de me rendre compte que j’avais connu ou que je connaissais beaucoup d’artistes originaires d’Iran. Cela peut sembler un peu ridicule, mais en tout cas, ton livre aura permis cela. Donc pour en revenir à l’entretien, as-tu ce désir de rétablir une autre image de l’Iran ?

 

L’Iran est un pays qui, comme je l’ai dit, se trouve très souvent à la Une des journaux occidentaux. Depuis la révolution de 1979, on a une image de ce pays qui est une image façonnée par le régime actuel. Je n’avais pas tant envie de rétablir une autre image, comme une réparation, que de raconter comment on en était arrivé là. Car avant cette révolution, l’Iran n’était pas ce pays ultraconservateur et fanatique. Les racines de cette révolution ne sont pas dans l’Islam, mais dans le coup d’État de 1953, fomenté par les Américains.

Mon envie de raconter l’Histoire contemporaine de l’Iran vient aussi du fait que ce qui s’est passé, et se passe, dans ce pays nous concerne tous. Puisque depuis toujours, et surtout depuis 1953, le destin de l’Iran – situé entre l’Occident et l’Orient et producteur de pétrole — ne lui appartient pas vraiment. Les Occidentaux y ont leur part dans ce qui est arrivé à ce pays. Et comme je l’écris dans « Désorientale », il ne faut pas oublier que Khomeiny était exilé en France avant son retour en Iran, ce qui correspond plus ou moins à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS… Bref, ce que nous subissons aujourd’hui en Occident (terrorisme, extrémisme religieux, etc.) a aussi ses racines dans l’islamisation de ce pays.  

 

Quel est le conseil que tu donnerais à une personne qui souhaite raconter une histoire ?

 

Raconter cette histoire, mais ne pas oublier son point de vue sur elle. « Raconter » et « dire » vont de pair. Une histoire est forcément le reflet de quelque chose de plus large, de plus universelle. Et, il faut trouver quoi et le tenir jusqu’au bout. Se demander : pourquoi cette histoire ? Qu’est-ce qu’elle montre du monde et des êtres ? En quoi peut-elle toucher quelqu’un d’une autre culture, d’une autre langue ?

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