LE CHOEUR DES FEMMES de Martin WINCKLER

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

LE CHOEUR DES FEMMES de Martin WINCKLER

LE CHOEUR DES FEMMES de Martin WINCKLER

Dire que j'ai acheté ce livre il y a maintenant plusieurs mois, voire années, et que je n'ai lu que récemment...C'est le deuxième livre que je lis de Martin Winckler ( le premier était LA MALADIE DE SACHS que j'ai lu alors que j'étais enceinte de mon premier fils), et j'ai eu tort d'oublier à quel point j'aimais son écriture, les histoires qu'il raconte, le point de vue qu'il défend. Un plaisir de ressentir cette joie lorsqu'on peut à nouveau s'emparer du livre, d'en lire chaque jour de larges pans, de suivre le récit de cette jeune interne, du médecin avec qui elle va d'abord se confronter, de cette équipe médicale si bienveillante qui sans cesse se questionne.Et entendre toutes ses histoires de femmes venant d'horizons différents...

Extraits: 

(...)

- Et toi, murmure Karma, tu le sens.

- Je sens quoi?

- Les contours de leur histoire. La silhouette qui se dessine. Chaque fois que tu leur réponds, tu leur dis ce que tu vois, ce que tu sens dans ce qu'elles ont écrit. Quand elles liront tes messages, elles auront toujours le sentiment qu'à tes yeux elles existent.

- J'ai répondu, dis-je au bord des larmes - je sens refluer le sentiment d'impuissance qui m'a envahie devant ce flots de plaintes et de malheurs, tous ces messages, toutes ces lamentations, ce tombereau de plaintes empilées, c'est comme si je m'étais aventurée derrière un camion de gravier au moment où il relevait la plate-forme afin de décharger, pour me retrouver enfouie étouffée écrasée. Comment est-ce que je pouvais faire pour répondre à tout ça sans me laisser noyer, sans me laisser gagner par la peur, le dégoût le rejet l'ironie le sarcasme le mépris l'envie de tout laisser tomber ou de les engueuler de les secouer de leur hurler de toutes mes forces en lettres capitales à quel point je les trouve veules et lâches et faibles et mièvres et connes, connes, connes, tellement connes qu'elles me rappellent ma propre connerie ma propre... mais je n'ai pas voulu me laisser faire je ne voulais pas me laisser embarquer par ça, cest comme face aux patrons et à leurs semelles de plomb, tu peux toujours essayer de m'écraser si tu veux, tu n'y arriveras pas, je vais survivre, je vais prendre mon temps, je vais travailler millimètre par millimètre et grandir et sortir de ce trou de ce placard où tu veux m'enfermer et marcher vers la lumière qui me plaît, pas celle que tu me braques dans la gueule pour me faire obéir en affirmant que c'est la seule mais la lumière que je vais trouver moi, centimètre par centimètre au bout du tunnel que je creuserai seule sans tu voies sans que tu saches,

à ceci près qu'hier soir je n'étais pas seule elles étaient là avec moi sous le gravier et quand je déblayais pour voir la lumière c'était aussi pour elles...-, jai répondu comme je pouvais. (...

(...)

- Tu n'as aucun moyen de vérifier qu'un secret est réel. Si c'est un secret, c'est que personne ne le sait, par définition. Donc, ça peut être vrai ou non. Et ça n'a pas d'importance. Ce qui importe, c'est l'émotion qui accompagne le secret. Pas l'anedocte. De sorte qu'il n'est même pas nécessaire de s'en souvenir toute sa vie! Pour ma part, j'oublie très vite presque tous les secrets...

- Mais si vous les oubliez... comment pouvez-vous les utiliser ensuite?

- Ah, mais tu n'as pas le droit de les utiliser, sous aucun prétexte; ni contre ni pour la personne qui te le révèle. Tu es une soignante, pas un banquier chez qui on fait un dépôt et qui capitalise des intérêts! Un secret, c'est un symbole, pas un instrument. S'en servir, c'est s'exposer à manipuler ou à se faire manipuler. Mettons que Mme Smith te révèle qu'une autre de tes patientes, Mme Jones est la maîtresse de son mari. Est-ce seulement pour vider son sac, ou bien est-ce destiné à ternir l'image que tu as de Mme Jones, voire à se servir de toi pour la punir? Tu n'en sais rien. Dans un cas comme dans l'autre, la prochaine fois que tu la verras, tu ne vas pas interpeller Mme Jones pour lui demander si elle est vraiment la maîtresse de M. Smith. Il en a va de même si Mme Jones en personne te confie qu'elle est la maîtresse de M. Smith. Elle ne te demande pas d'utiliser son secret, elle te demande de l'entendre. Le secret qu'on te confie ne t'appartient pas et - pas plus ton statut de médecin, d'ailleurs- il ne te confère aucun droit, aucun pouvoir, aucune autorité morale sur la personne qui te l'a livré. L'utiliser, ou même simplement le mentionner devant elle - " je sais ce que vous avez fait..." -, c'est un abus de savoir, donc, un abus de pouvoir... Et le moyen le plus simple de ne pas abuser de ce savoir, c'est d'oublier... Tu vois, beaucoup de femmes nous livent leur secret au moment où elles sont le plus fragiles, mais tu verras qu'elles ne tiennent pas du tout à ce qu'on s'en souvienne par la suite. Elles sont très reconnaissantes qu'on oublie leur secret après qu'elles nous l'ont confié. Elles ont surtout besoin qu'on l'entende dans l'instant. Lorsqu'une femme te confie qu'elle a trompé son mari, ce n'est pas pour être absoute - tu n'es ni grande prêtresse ni directrice de conscience-, mais ça peut être pour que tu entrevoies pourquoi elle ne veut pas de la grossesse qu'elle va interrompre. Elle a peut-être simplement besoin de lire dans tes yeux qu'elle n'est pas juste "monstrueuse" d'interrompre sa grossesse, qu'elle est humaine. Ce qu'elle te révèle, tu n'as pas besoin de le garder en tête, et encore moins de l'inscrire sur la liste de ses péchés, puisque, encore une fois, tu n'es pas là pour les comptabiliser. Alors, tu n'as pas besoin de te rappeler le secret. Tu as juste besoin de te rappeler qu'un jour cette femme t'a confié un secret qui la faisait souffrir.

(...)

Martin Winckler

LE CHOEUR DES FEMMES

P.O.L Editeur, 2009  Folio

 

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