CREER, les masterclasses de France Culture, extrait masterclasse de Jean Claude AMEISEN

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

CREER, les masterclasses de France Culture, extrait masterclasse de  Jean Claude AMEISEN

extrait:

Raphaël Bourgeois : Tous ceux qui vous ont entendu dans votre émission « Sur les épaules de Darwin » savent que vous écouter, c’est écouter une histoire, comprendre un petit bout du monde qui nous entoure, mais c’est aussi écouter une langue, une forme de poésie. Je sais que vous êtes particulièrement sensible à la poésie de Paul Celan par exemple, ou d’Emily Dickinson. La poésie comme une façon de voir le monde, de faire, un pas de côté, vous nourrit-elle aussi en tant que chercheur ?

 

Jean Claude Ameisen : Elle me nourrit en permanence. Comme la musique, elle me bouleverse. La poésie est de la musique composée avec des mots, agencés de façon inhabituelle. Et elle fait émerger, à partir des mots, de la langue, de nouvelles sonorités, de nouvelles images, de nouvelles significations. Elle me fait entrevoir la présence d’une autre réalité, plus profonde, plus étrange, plus ancienne, qui aurait été oubliée depuis longtemps. Il y a, dans la poésie, à la fois une évidence et une énigme. Comme une réponse soudaine à une question qui n’aurait pas été formulée, et qui reste à découvrir.

 

RB : Il y a aussi le roman. Je sais que vous aimez particulièrement le romancier Patrick Modiano, prix Nobel de littérature, et notamment Dora Bruder. Cette quête, cette recherche d’inconnu présent dans ce livre et dans bien d’autre, c’est évidemment important. Cela croise aussi votre histoire personnelle, familiale, celle de vos parents rescapés de la Shoah. Finalement, qu’est-ce que cette histoire personnelle dit de votre parcours ? Et peut-être rétrospectivement, sans faire de la psychologie de comptoir, de votre recherche sur la vie, la mort, de votre questionnement éthique ? On sait que les premières réflexions éthiques sur le rôle des individus dans la recherche biomédicale ont été posées lors des procès des médecins nazis à Nuremberg. Comment tout cela fait-il sens aujourd’hui pour vous ?

 

JCA : il est toujours difficile de savoir, rétrospectivement, ce qui vous a construit. Mais je crois que, très tôt, j’ai ressenti l’absence. La présence de l’absence. L’empreinte, en nous et autour de nous, de ce qui a disparu, de toutes celles et de tous ceux qui ont disparu. « Il n’y a pas d’absence s’il y a au moins le souvenir de l’absence » dit la poétesse canadienne Anne Michaels. Mais c’était, pour moi, un souvenir étrange – le souvenir d’un monde que je n’avais pas connu, qui avait été réduit en cendres, et dont je ne connaissais que des survivants. De là, peut-être, est né une soif de questionner et de comprendre.  Et la sensation que j’apprendrais toujours, que je chercherai sans cesse, mais que je ne saurai jamais.

Ce que ce sentiment d’absence a aussi fait naître très tôt en moi, je crois, c’est une conscience aiguë à la fois de la merveilleuse beauté de la vie et de son extraordinaire fragilité. Une profonde envie de la célébrer et de la préserver. Et une révolte contre l’injustice, la discrimination, l’exclusion, l’exploitation, le mépris pour la vie, la cruauté. « Nous ne traversons ce monde qu’une fois » dit l’évolutionniste Stephen Jay Gould dans un livre poignant, La Mal-mesure de l’homme. « Peu de tragédies sont plus graves que de ne pas permettre à la vie de s’épanouir, peu d’injustices sont plus profondes que de rédure à néant les occasions de se développer, ou même d’espérer, à cause des limites imposées de l’extérieur par d’autres. »

 

Masterclasses, une émission produite par Arnaud Laporte et initiée par Sandra Treiner.

 

L'Iconoclaste, France Culture et les Editions Radio France

 

www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses

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