ARENE de Négar DJAVADI

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

Négar Djavadi - ARENE - Editions Liana Levi

Négar Djavadi - ARENE - Editions Liana Levi

Quel plaisir de savoir que Négar Djavadi allait sortir un nouveau livre!Roman intense, violent et qui semble si proche de nous. Comme pour son premier roman, Négar Djavadi a eu la gentillesse de répondre à mon questionnaire. Je la remercie pour le temps qu'elle m'a accordé alors qu'elle sillonne la France pour la sortie de son livre.

 

Chère Négar, après le succès de ton premier roman, tu sors un deuxième roman dont le titre est ARENE. Ici, on est dans un tout autre univers. C’est à la fois de la fiction mais cela pourrait aussi être vrai. C’est une des forces de ce roman qui se lit assez vite car on est happé par les personnages, leurs quartiers communs, leurs histoires qui vont toutes se croiser à un moment ou à un autre.

Dans ce blog, ce qui m’intéresse le plus c’est le processus créatif. Donc première question assez classique : quel a été l’évènement déclencheur de ce deuxième roman ? Est-ce qu’il y en a eu un, ou te laisses-tu du temps pour savoir dans quel univers, dans quel « arène » tu as envie de déployer ton histoire ?

Cela fait longtemps que j’avais envie d’écrire sur Paris. Pas seulement une histoire dans un quartier aisé ou bourgeois, ou dans un quartier populaire, mais sur Paris en tant que métropole à la fois chargée d’histoire et de monuments incroyables, à la fois en prise avec les problématiques d’un monde contemporain. Il se trouve que je vis depuis vingtaine d’années dans le quartier où a lieu l’essentiel de l’action, à savoir le triangle Belleville / Colonel Fabien / Jaurès. C’est un quartier que je trouve très cinématographique, avec sa population dense et très mélangée, ses ambiances très différentes d’une rue à l’autre, son architecture improbable, sa violence, son passé, mais aussi très inflammable, plus ou moins pour les mêmes raisons. Quand la question du second roman s’est posée, d’ailleurs très peu de temps après la sortie de DESORIENTALE, je me suis dit que c’était sans doute le moment d’écrire à la fois sur Paris et ce quartier, surnommé « No go zone » par Fox News après les attentats de Charlie Hebdo et Bataclan (surnom qui avait fait pas mal réagir les habitants du quartier qui avaient même fait des t-shirts pour se moquer de Fox News)

Tu es très précise dans ce qui est raconté. Je suppose que tu fais un gros travail de documentation mais ici, comment as-tu procédé ?

Concernant le quartier, ma connaissance des lieux m’a beaucoup aidé. Mais, j’ai commencé à parler à une population que je croisais, des jeunes des cités par exemple, mais avec qui je ne parlais pas forcément, à les interroger et les écouter sur les règlements de compte entre bandes par exemple. Et mes discussions nourrissaient la fiction. Mais je me suis surtout documenté par personnage. Étant donné qu’on entre dans leur tête, il fallait être juste, cohérente, avec qui ils sont, ce qu’ils vivent, comment s’organise leur métier, leurs réflexions, leurs pensées, leur monde. Qu’ils soient policiers, professeur de biologie, légiste ou lycéenne… J’ai essayé de donner un langage à chacun, un lexique, et être au plus près de leur logique.

Concernant les personnages « fictifs » , est-ce que tu t’es inspiré de personnes réelles ? Ce qui m’intéresse ce n’est pas de savoir qui sont ces personnes existent, mais plutôt ta méthodologie pour développer leur caractérisation.  Tes personnages sont nombreux avec pour la plupart une backstory conséquente.

À vrai dire, pas vraiment. Il y a plus de cent personnages tout le long du roman et à part, un ou deux, les autres sont vraiment des personnages « de fiction ». Je n’ai pas cherché à m’inspirer par des personnes qui existent parce que j’étais déjà dans la réalité d’un quartier, dans des lieux très concrets, que je traverse tous les jours et j’avais envie de peupler ces endroits de « mes » personnages.

J’ai tout d’abord essayé de trouver un point commun entre les personnages principaux, ceux qui sont directement liés aux événements qui se produisent (outre le fait de vivre à Paris). Un point commun sous forme d’un conflit intérieur. Et cela a été « la frustration ». Ils sont tous, à des degrés différents, dominé par une frustration qui les poussent dans cette arène, qui les obligent à agir, à essayer de s’en sortir. Et cette frustration maintient chacun d’eux dans sa logique, comme les lignes du métro, qui se croisent, s’éloignent, mais restent toujours dans leurs rails. Aucun d’eux ne change au contact des autres.

D’autre part, comme mon idée de départ était d’écrire un roman à Paris avec, comme fil rouge, le rapport entre fait et fiction, j’ai essayé de faire en sorte que chacun d’eux soit d’une certaine manière le personnage d’un autre. C’est par exemple le cas de la policière Sam qui devient le personnage de la vidéo de l’adolescente Camille, vidéo qui devient virale et propulse Sam dans une chute à laquelle elle ne s’attendait vraiment pas.

Est-ce qu’avant de te lancer dans l’écriture du roman, tu as besoin de bâtir une architecture ou est-ce que tu écris au fil de l’eau ?

Avant de me lancer dans l’écriture, je ne fais pas un plan ou un traitement comme pour le scénario. Mais, j’ai besoin de connaître le mouvement du livre. Où il commence et comment il va, plus ou moins, se terminer. Non pas la scène finale, mais la couleur de cette fin, la tonalité. Après, peu à peu, l’histoire et les personnages viennent dessiner ce mouvement et le rendre tangible.

Pour moi, l’écriture du roman commence vraiment quand j’ai trouvé le rythme. Avant de le trouver, je peux écrire des centaines de pages et les jeter, ou bien tourner autour des phrases pendant des semaines. C’est quand le rythme s’installe, quand il est le bon, que j’ai l’impression que ça y est, l’écriture va commencer.

Combien de temps te prennent chaque étape : documentation, personnages, situation…

Je ne procède pas par étape, pas comme un scénario, je me sens plus libre avec le roman. En revanche, je me documente tout le long de l’écriture, je regarde des films ou lis des livres en rapport avec ce que j’écris, et je reviens énormément en arrière. Je me relis sans cesse, je coupe, je réécris, je jette, je recommence. J’ai l’impression de sculpter le roman au fur et à mesure, de trouver sa forme, d’affiner les personnages, de polir la matière. Tout ce travail autour du livre et avec le livre me prend entre deux ans et demi et trois ans, mais je n’écris pas toute la journée. Je partage mon temps entre le livre et les scénarios.

Est-ce qu’en écrivant ce roman tu penses que l’écriture ou plutôt la lecture peut permettre une prise de conscience ? Est-ce qu’au fond grâce à ce livre, c’est ta façon de « faire ta part » pour dénoncer les injustices d’aujourd’hui ? 

Les scénarios que j’écris au quotidien comblent mon désir de fictions, de personnages. Je n’ai pas besoin de réitérer cette envie dans un livre. Le livre, la littérature, génère un autre désir, celui de porter un regard sur ce monde, sur son présent ou son passé, sur ses dérives, sur ces contradictions, d’aller au-delà des apparences, des croyances, de la bien-pensance, de dessiner des personnages que l’on ne voit pas au quotidien, leur donner une voix, décrire leur vie, les faire connaître… C’est partager avec les lecteurs ce regard, ces réflexions, ces interrogations. J’ai remarqué que quand on raconte l’histoire d’un personnage, quand on lui donne une épaisseur, quand on décrit ses joies et ses peines, étrangement ce personnage sort de la catégorie dans laquelle on le place habituellement dans la vie « réelle » – un étranger, une policière, un homosexuel, un vieux, un trader, etc – pour devenir un être familier. Ce qui est incroyable !

Qu’aimerais-tu pour ce livre ? est-ce qu’une adaptation en série ou en film serait une finalité ou penses-tu qu’il s’agit là de deux expériences différentes ? Ou aimerais-tu qu’il soit le support d’un réel débat ou au moins d’une certaine prise de conscience ? 

Je n’ai pas pensé à son devenir en tant que série ou film en l’écrivant. Pour moi, que je sois publiée et lue est déjà une aventure formidable. Car, ce n’est pas parce qu’un livre précédent a marché ou a été apprécié que le prochain le sera. À chaque fois, à chaque œuvre, cette impression de recommencer à zéro. Donc, je lui souhaite déjà, puisqu’il vient de sortir depuis un mois, qu’il vive sa vie en librairie, qu’il touche les lecteurs, qu’il donne envie de passer quelques heures en sa compagnie.

Et pour le prochain roman, connais-tu déjà l’ « arène » de tes futurs personnages ? 

J’ai des envies bien sûr, des envies et des idées qui m’accompagnent depuis longtemps ou depuis quelque temps. Mais je ne sais pas encore laquelle va trouver son chemin, va dessiner ce mouvement qui va la faire passer de « prémisse » au « roman ».

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article