LE MINISTRE DE PASSAGE de Jean-Louis LECONTE

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

LE MINISTRE DE PASSAGE de Jean-Louis LECONTE

LE MINISTRE DE PASSAGE: c'est le titre du premier roman de Jean-Louis Leconte, scénariste, réalisateur, cinéaste et cinéphile. C'est grâce à son agent que nous nous sommes rencontrés, il y a quelques années. Depuis cette rencontre, nous échangeons sans cesse: projets, histoires, fictions, récits, cinéma, écriture ...

Jean-Louis est un conteur exceptionnel, drôle, fin, qui a toujours eu un grand souci sur la précision de ce qui est raconté, sur l'émotion qu'on peut ressentir. Il a enfin osé écrire son premier roman, ou dois-je dire qu'il s'est enfin autorisé à le faire? Quel plaisir immense de pouvoir lui demander de parler autour de son livre, ou plus précisément de son passage à l'écriture. 

 

Je lui ai donc poser la question (si si, depuis toutes ces années, nous avons décidé sans jamais l'officialiser, de garder le vouvoiement entre nous ...) :

 

Venant du cinéma, voilà qu’aujourd’hui vous publiez un roman aux éditions Michel de Maule : LE MINISTRE DE PASSAGE. Que s’est-il passé ?  Et qu’est-ce que cela veut dire ? Vous renoncez au cinéma, ou est-ce juste… un passage ?

 

 

 

Ce n’est pas mon premier livre, mais c’est mon premier roman publié. Autant dire que je suis un jeune romancier qui, du fait de son âge, risque de n’avoir qu’une faible marge de progression. Or Dieu sait si j’ai des progrès à faire !  Et cela sans fausse modestie. Comment ne pas se faire tout petit face à ceux qui, du premier coup, écrivent un chef d’œuvre, surtout si c’est leur seul et unique roman ? Je pense notamment à Tomasi di Lampedusa, l’auteur du GUEPARD, rare exemple d’un chef d’œuvre de la littérature à l’origine d’un chef d’œuvre du cinéma. Pour être tout à fait honnête, je préfère quand même le premier au second. Je ne sais s’il faut y voir un lien avec mon parcours personnel, mais je suis de plus en plus tenté à mettre la littérature au-dessus du cinéma. Hiérarchie un peu vaine, j’en conviens, car le 7ème art a produit des œuvres incomparables au sens propre du terme, c’est-à-dire inconcevables dans d’autres disciplines. Vieille lune, me direz-vous, que cette ambition d’un cinéma irréductible à toute autre forme d’expression ? Oui, s’il s’agit de se débarrasser des influences de la littérature, du théâtre, de la musique ; non par contre, s’il s’agit d’assumer l’héritage que l’histoire des arts a légué au cinéma dès sa naissance. Le cinéma muet qui s’est emparé de l’art de la pantomime a développé tout au long de son histoire une syntaxe qui lui était propre et qui approchait de la perfection quand le son s’en est mêlé. Première révolution issue d’une innovation technique… Par la suite, la couleur, l’écran large, les tentatives d’introduire le relief, la caméra portable, les différents progrès du son n’eurent pas autant d’influence sur le langage cinématographique. La Nouvelle Vague a été absorbée par le cinéma traditionnel et, qu’on le déplore ou non, Balzac survit à Robbe-Grillet.

Aujourd’hui, c’est à une deuxième révolution que nous assistons avec le numérique. Je ne pense pas tant à la chaîne de production qu’à la réception des films. Concurrencé par les écrans domestiques, la salle de cinéma n’est plus le moyen d’accès privilégié. On peut voir un film dans son bain, dans un moyen de transport, sur l’écran de son téléphone tout en marchant, et demain ce sera sur les verres de nos lunettes. La sacralisation du spectacle cinématographique, la communion d’un public ému, éclatant de rire ou retenant son souffle, tout cela risque de disparaître. Avec le numérique, on est passé d’un cinéma du plan à un cinéma de l’image avec tout ce que cela implique en terme de perte de rigueur professionnelle, pour ne pas parler de morale. Peut-on pour autant en déduire que l’outil exerce une grande influence sur l’imaginaire des auteurs ? Je n’en suis pas sûr. Que l’on écrive à la plume d’oie, au stylo à encre, à la machine à écrire ou sur un clavier d’ordinateur importe moins, me semble-t-il, que l’évolution des mentalités, et les histoires d’adultère, thème rebattu s’il en est, ne sont pas près de

disparaître. Avec une caméra légère ou avec la grosse Mitchell, Godard était toujours Godard, et jusqu’à présent les fortes personnalités ont toujours su domestiquer les nouveautés technologiques à leur profit.

Non, à mon sens, la révolution actuelle, autrement plus dangereuse, se joue ailleurs, tout au bout de la chaîne. Elle risque d’avoir - a déjà  - des conséquences sur la conception même des films. Dans la salle de cinéma, existe en effet un consensus minimum entre les spectateurs qui ont choisi le film et sa version - originale ou doublée - mais aussi qui acceptent, pardon pour ce truisme, d’être soumis à la continuité de sa projection. Avec la diffusion numérique, la mainmise du spectateur, commencée avec les cassettes et les DVD, ne fait que s’amplifier. Déjà que beaucoup de spectateurs, même assidus et cultivés, sont indifférents au nom du réalisateur, c’est le pouvoir de l‘auteur qui risque de s’affaiblir,  c’est la négation même de son rôle qui se dessine. Marginalisés, embourgeoisés, les derniers carrés de cinéphiles assisteront impuissants au triomphe définitif d’une industrie exerçant son pouvoir sur des spectateurs-consommateurs avec la complicité de réalisateurs-fabricants. Si un auteur pourra peut-être se cacher derrière le fabricant, un spectateur aura-t-il une chance de s’éveiller chez le consommateur ?  On ne peut que l’espérer.

 

Sans occulter le décalage de plus en plus flagrant entre l’attente des financeurs et mes envies personnelles, ce sont des réflexions de cet ordre qui, au fil de temps, m’ont amené à penser que mon avenir n’était probablement plus du côté du cinéma. Non par manque d’envie, mais plutôt par lucidité. Bref - et pardon de ne pas l’être – après quelques expériences d’écriture pour la scène, j’ai enfin osé écrire avec l’ambition d’être lu. Seulement lu. Un essai d’abord sur et autour du cinéma, et enfin ce roman : LE MINISTRE DE PASSAGE. Avantage qui peut tourner au vertige : à l’inverse du cinéma, on peut écrire et réécrire indéfiniment, sans que cela ne coûte rien si ce n’est le temps passé. Par contre, ce qui perdure c’est la nature des insomnies. En tournage, on repense à tel ou tel plan mis en boîte pendant la journée ou à ceux que l’on doit faire le lendemain ; en montage on repasse sans arrêt tel raccord ; au mixage c’est telle entrée de musique que l’on se reproche et que l’on se jure de corriger. Aujourd’hui, ce sont des phrases que je ressasse, des mots qui tournent dans ma tête pendant des heures, un adjectif précis que je connais, mais qui m’échappe, une répétition qui me saute aux yeux même s’ils sont fermés, une concordance des temps qui grince, une lourdeur qui va me poursuivre jusqu’au matin, mais là au moins je n’aurai pas fait d’autre victime que moi-même en attendant l’éventuel lecteur.

Il y a bien longtemps j’ai compris qu’un beau scénario n’était pas fatalement un bon scénario ; il me reste maintenant à apprendre à me méfier des belles phrases car dans tout phraseur, il y a un raseur prêt à vous faire piquer du nez. Autant dire qu’il est grand temps que je m’arrête s’il n’est pas déjà trop tard…

 

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