LE FANTOME DU BRIQUET par Jean-Louis-Leconte

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

Six ans déjà depuis ce bout d’essai correspondant à une scène qui aurait dû se situer sur une aire d’autoroute si POUR DE VRAI avait pu se tourner pour de vrai.

En deux mots, il s’agissait dans ce film ensoleillé de mettre en perspective, tout au long d’un périple en voiture, les rapports bien réels d’un homme divorcé avec son fils avec ceux inévitablement moins réels que ce père entretenait avec le fantôme de son propre père, le fameux « chirurchien ».

Six ans donc se sont écoulés depuis cet après-midi de septembre ensoleillé par la seule présence de François, celles de Brigitte, d’un autre François, celles encore de Christian ou de Momo… sans oublier celle de mon fils Alexandre qui, après avoir fait preuve de la meilleure bonne volonté, refusa tout net de continuer. Dans ma petite expérience, je n’avais jusqu’alors jamais été confronté à ce qu’on appelle sans doute trop facilement un « caprice » de comédien. Si, bien sûr, j’ai quelques souvenirs d’âpres discussions avec Harvey Keitel quand nous tournions UNE PIERRE DANS LA BOUCHE, il ne s’agissait nullement de caprices de sa part, mais des exigences d’un comédien formé à l’Actor’s studio, exigences que je connaissais et que j’avais évidemment intégré le jour où je proposais à Harvey de travailler avec moi. Je dois dire pourtant qu’une fois cela fut particulièrement intense quand pour une question de briquet qui, selon Harvey, n’était pas dans la bonne poche de son blouson - briquet qui ne « jouait » pas dans la scène en question -, je finis par lui suggérer qu’on interrompe le tournage le temps de reprendre le scénario pour revoir depuis le début le parcours du briquet en question. J’étais le producteur, Harvey sentit ma détermination et nous pûmes continuer… jusqu’au jour où en l’absence de ce même briquet, qui ne jouait toujours pas mais qu’il avait besoin de sentir au fond de sa poche, je fus contraint au dernier moment de changer le plan de travail en attendant que le stagiaire chargé de ce maudit briquet fasse enfin son apparition. Mais là, lors de cet essai, la situation était pire, ce n’était pas tant mon statut de réalisateur qui était en jeu, c’était mon autorité de père. Donc pas question de céder, mais pas question non plus de négocier une quelconque récompense, aussi, si ma mémoire est bonne, ai-je dû faire appel à l’intelligence et à la conscience « professionnelle » d’Alexandre pour le convaincre de revenir s’asseoir à côté de son père de cinéma. Ce qu’il fit avec autant de facilités qu’il en avait mises à me faire enrager.

Avec la patience et la tendresse de François Morel, avec l’élégance fantomatique de Thierry Lhermitte qui devait jouer le père prématurément décédé de François et avec la spontanéité lumineuse de Natacha Régnier dans le rôle de la demi-sœur cachée, POUR DE VRAI, j’en étais sûr ce jour-là, était bien parti pour avoir le charme et l’intensité émotionnelle que Brigitte et moi souhaitions lui donner. Aujourd’hui, j’avoue que revoir ce bout d’essai m’a redonné un instant l’envie de me battre pour que ce film finisse par exister… si ce n’est que, voilà, me revient ce conseil que m’avait un jour prodigué mon ami Luc Béraud à propos d’un tout autre projet qui devait impérativement être tourné en été : si tu veux avoir une chance, m’avait dit Luc, il faut écrire des scénarios qui soient prêts à tourner quelles que soient les saisons… Avec POUR DE VRAI j’avais encore une fois besoin d’un soleil estival, mais ma plus grande imprudence fut peut-être d’avoir un scénario écrit pour un enfant qui, à mon grand désespoir, ne cesse de grandir. A mon grand désespoir, c’est bien sûr très exagéré, même si le temps presse… puisque l’incorrigible que je suis a dans ses cartons un nouveau scénario avec un gamin d’une petite douzaine d’années… Mais ce qui me rassure, et devrait aussi rassurer les producteurs, c’est que, cette fois, l’histoire ne se passe pas qu’en été, j’ai besoin de toutes les saisons, hiver compris, et avec de la neige, sinon ce n’est pas un hiver digne de ce nom !

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