COMME UN POISON ENTRE NOUS de Monica RATTAZZI

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

COMME UN POISON ENTRE NOUS de Monica RATTAZZI

J'ai connu Monica Rattazzi par le biais d'amis scénaristes mais je n'ai jamais eu l'occasion de collaborer avec elle, ni de voir le fruit de son travail télévisuel. Je lis régulièrement ses publications sur sa page facebook et j'y ai toujours trouvé un plaisir de lecture, voire un sentiment de plénitude. J'étais donc assez impatiente de lire son premier roman publié chez chez Scrinéo, COMME EN POISON ENTRE NOUS. Je lui ai demandé de répondre à un entretien écrit suite à la lecture de son livre que j'ai lu très rapidement.

La première question que j'aimerais te poser est très simple : comment passe t-on de l'écriture de scénario à l'écriture d'un roman ? Quel a été le déclencheur ?

En réalité, c’est l’écriture de roman qui a toujours été mon véritable moteur. J’écris depuis toute petite : des histoires, des bouts d’histoire, des bouts de personnages. J’ai aussi écrit une pièce de théâtre pour laquelle j’avais obtenu la Bourse de la Fondation Beaumarchais. En suivant la formation du Conservatoire, je cherchais à apprendre comment mieux raconter les histoires. Comment les construire, comment les rendre lisibles, accessibles.

Ensuite, en sortant du conservatoire, on m’a aussitôt proposé de travailler comme scénariste pour la télévision, ce que j’ai accepté bien sûr. Et j’ai continué à apprendre énormément.

Mais le fil conducteur de toutes ces expériences a toujours été l’écriture de roman. Le déclencheur a donc été de pouvoir me lancer enfin !

J'aimerais comprendre le processus créatif, et particulièrement le tien dans le cadre de ton travail sur ton premier roman. Est-ce vrai qu'une première oeuvre est souvent, en tout cas au début, une envie qui vient de son histoire personnelle ?

Il y a bien sûr une part personnelle dans cette histoire. Mais pas que. Il y a aussi tous les témoignages entendus, partagés avec les amies, les conversations entendues dans le métro, chez le coiffeur, au supermarché… Toutes ces conversations de femmes, de mères, autour de leur vie de couple ont nourri le personnage de Julie.

Mais ce n’est pas ce qui a été le point de départ.

Tout au début, il y a eu la structure thriller : l’histoire de ce gamin qui décide « d’adopter » le père de la famille en face de chez lui. Tout était construit, posé. L’histoire existait sous forme de synopsis.

Mais il me manquait un propos à défendre, un sujet à nourrir. J’aime raconter des histoires qui permettent à celles et ceux qui les lisent ou les voient, de se dire qu’ils ne sont pas seuls à vivre ce qu’ils vivent. Je crois beaucoup que la littérature est un moyen de (se) comprendre, d’avancer. Ce sont souvent les livres qui m’ont sauvée.

Alors, quand j’ai eu cette intuition de raconter l’histoire du point de vue de Julie, l’épouse de cet homme « adopté », tout le reste est venu naturellement : bien sûr, c’est parce que son couple est fragile que le « poison » peut prendre autant de place. Et là, je savais que je tenais le sujet dont j’avais véritablement envie de traiter et qui résonnait fortement avec mon expérience personnelle.

J'aimerais ensuite comprendre comment tu as choisi le ton, et le genre que tu voulais donner à ton histoire ? Est-ce les personnages qui ont nourri les évènements, les situations, ou au contraire, est-ce que tu pars des situations que tu souhaite développer, et ensuite tu inventes tes personnages ?

Disons que je pars toujours des personnages, de leur ressenti, de leur vécu, de leurs émotions, de leurs peurs et de leurs espoirs. C’est toujours cela qui nourrit mes histoires. C’est aussi par là que je parviens à me connecter au cœur de ce que j’ai envie de raconter.

Mais au départ, il y a forcément une situation. Ça commence toujours par cette phrase de gamine : « et si ? » Ou bien sa déclinaison : « qu’est-ce que ça ferait si ? ». Et ensuite, j’y crois, je m’imagine être ce personnage qui vit la situation. Et par ses émotions, je construis une histoire, une trajectoire. Elle est d’abord très maladroite, très empirique.

Ensuite – c’est probablement ma formation de scénariste - j’ai besoin de poser une structure. C’est le temps de la construction. Poser les évènements au bon endroit, trouver la bonne progression dramatique, les temps forts… Et j’aime beaucoup le genre du thriller parce qu’il peut être très ludique, c’est une mécanique implacable : si un élément est mal placé, il peut faire vriller toute la machine.

Mais à l’inverse, il impose aussi un rythme. Et il faut alors se plier à son exigence et le suivre. Je trouve que c’est un bon support de narration, un bon allié d’écriture.

Ensuite, la dernière étape est celle de l’écriture véritablement. Le moment de poser les mots, faire des phrases, trouver le rythme, la musique de l’histoire. C’est le cadeau une fois que tout le reste a été posé.

Pour ce qui est du choix du genre, il se fait tout seul. Quand l’histoire commence, elle a un rythme propre. Elle a déjà une cadence qui ne peut pas être forcée.

Pour cette histoire, il y avait une tonalité très sombre, peu de couleurs – ou alors très pétantes et qui venaient déranger la pénombre. Le ton était déjà celui d’un thriller.

Quelles ont été pour toi les différences entre ton travail en tant que scénariste et ton travail en tant que romancière ? Est-ce que dans les deux cas, c'est un travail solitaire?

Je suis rarement seule lorsque j’écris pour la télévision. Je travaille généralement avec un ou une co-auteur, ou même en atelier.

Lorsque j’écris pour le cinéma, j’écris généralement pour ou avec un réalisateur. Et lorsque j’écris – comme c’est le cas actuellement – un scénario que je compte réaliser moi-même, il y a la « censure » de la faisabilité : la dimension de la production est très présente. Je ne me sens pas seule.

Dans l’écriture de roman, il n’y a personne d’autre que moi et le récit silencieux que je tisse pour le lecteur ou la lectrice qui lira en silence de son côté. C’est une activité très silencieuse, très calme. Ce calme est nécessaire pour laisser émerger cette « musique de l’histoire » dont j’ai parlé plus haut.

Le rôle de l’éditeur est très discret. Beaucoup plus un compagnon, un accompagnateur rassurant qu’un censeur. C’est donc une position totalement différente de l’écriture de scénario. Donc oui, peut-être que c’est une activité plus solitaire.

Mais je crois que la différence fondamentale pour moi est celle du plaisir des mots. Cette liberté de pouvoir passer des heures à reprendre une phrase, un paragraphe, le triturer, le malaxer, l’aérer jusqu’à ce qu’il dise exactement ce qu’on veut qu’il dise. Sans cadre imposé. Sans aucun autre impératif que celui de suivre la petite musique intérieure. Le roman permet de sortir du cadre et de travailler le langage, d’aller au cœur des mots.

Si le sujet intéressait un producteur, est-ce que tu souhaiterais assumer son adaptation ? Ou au contraire, comme on dit souvent que l'adaptation est une trahison, souhaiterais-tu que quelqu'un d'autre que toi le fasse?

Il y a quelques propositions qui vont dans ce sens effectivement. Et je voudrais en faire moi-même l’adaptation car je crois savoir déjà ce qu’il faudrait bouger, changer pour conserver l’esprit de l’histoire sans la trahir.

Mais peut-être que c’est un travail qu’il faudrait que je fasse en co-écriture pour plus de lucidité ? Je te tiendrai au courant !

Je ne voudrais pas dévoiler des éléments de l'intrigue, car le but de ce blog est de pouvoir mettre en lumière des artistes, des créateurs, et j'espère donner envie de les connaître. Cependant, je peux tout de même dire que tu mêles avec une grande habileté une certaine forme de romance et le thriller, tout cela dans un cadre très reconnaissable pour une partie de la population occidentale, habitant proche d'une grande ville, vivant de manière agréable, sans être riche, mais ni pauvre non plus. Ce que je trouve de tout à fait remarquable, c'est que tu as su maintenir cette équilibre subtil entre ces deux trames narratives, et que tu n'es pas allée vers la facilité, car il me semble que mettre en premier plan le côté directement thriller eut été plus aisé pour capter le lecteur. Or là, tu réussi à nous capter, sur la trame de nos interrogations personnelles qui nous traversent toutes et tous un jour, et c'est, pour moi, une des grandes réussites de ton histoire. Est-ce que des auteurs comme HAGAI LEVI sont des auteurs qui t'inspirent, ou alors quels sont tes références, et tes sources d'inspiration ?

Déjà merci pour ces compliments. La référence à Hagaï Lévi en est un immense pour moi. Je suis totalement fan de ce qu’il écrit. Je suis très admirative de son parcours et de ses réalisations. Effectivement j’aime ce regard qu’il pose sur le monde : en regardant la vie d’un être humain comme un monde en soi, on y découvre des zones de suspense, de terreur, de joie, de tension, de mystère et d’irrésolus absolus…

Je ne saurais pas écrire Die hard 8. Mais je suis convaincue qu’en regardant au microscope une vie humaine, ses émotions, ses méandres, ses contradictions, ses ambitions, ses lâchetés, ses tentatives désespérées, on arrive à un niveau d’intensité proche d’un film avec Bruce Willis… Et Hagaï Lévi est – à mes yeux – un maître en la matière.

J’aime aussi beaucoup les écrits de Irvin Yalom sur ses patients.

J’ai lu et relu toute l’œuvre de Dostoïevski, d’une traite, le jour où j’ai découvert Crimes et Châtiments.

J’aime Emmanuel Carrère pour les mêmes raisons : la capacité à observer et retranscrire. Je crois avoir lu tous les romans de John Irving, tout Brecht, Molière, Alessandro Baricco, Fred Vargas. Récemment, je lis beaucoup plus d’auteurs féminins. J’aime la fougue et l’impétuosité de Claire Barré, et, à l’inverse, la précision implacable d’Annie Ernaux ou dans un autre style, celle de Virginie Despentes.

Ceci dit, la principale source d’inspiration reste pour moi la vie elle-même, les vies que j’observe autour de moi. Je peux passer un voyage entier assise dans un train à côté d’une femme avec ses enfants et guetter les moindres petits éléments qui me permettront de deviner sa vie, son histoire. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Qu’attend-elle de la vie ? Vit-elle la vie qu’elle voulait vivre ? Et si non, pourquoi ? C’est là, dans ce « pourquoi » qu’une histoire commence… A chaque fois…

Enfin, quels conseils donnerais-tu à une personne, scénariste ou non, qui souhaiterait raconter une histoire ?

Le premier et peut-être le seul conseil que je donnerais serait celui d’y croire. Croire à son histoire, croire à ses personnages. Y croire au point d’entendre le son de leur voix, de sentir le rythme, le poids de leurs corps, leur qualité de sommeil… Il faut y croire à ce point-là, je crois. C’est en tous cas ce qui marche pour moi.

Et puis croire que cette histoire-là, précisément, vaut la peine d’être racontée. Qu’elle est importante à entendre, au moins pour une personne qui en aurait besoin.

C’est le même processus, que l’on soit scénariste ou pas.

C’est essentiel. Parce que le chemin est long et comme on y voyage seul, le doute est souvent présent… Il n’y a que la foi qui permette de le dépasser : la foi en son histoire.
Et tout le reste, c’est du travail de fourmi où parfois de grandes vagues viennent tout emporter, et de grands souffles tout reconstruire

Il faut y croire et s’adapter…

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