VERNON SUBUTEX de Virginie DESPENTES, extrait

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

VERNON SUBUTEX de Virginie DESPENTES, extrait

(...) Cette fois il a eu de la chance de pouvoir entrer dans un immeuble, derrière un couple. Le temps qu'ils disparaissent dans les escaliers il a fait semblant de chercher un nom sur les boites aux lettres. Toujours prétendre qu'on a une place dans la ville. Il est monté, à pied, au dernier étage. En bas, les escaliers étaient larges, couvert d'une moquette rouge élimée, puis quand on arrivait en haut l'escalier devenait plus étroit, et son bois était nu. Il s'est allongé sur le sol, le parquet bien ciré lui a paru chaleureux après deux jours de bitume. Il a été réveillé par un bruit de clés, quelqu'un quittait son domicile, qui l'a enjambé, sans un mot. Il attendait qu'on le chasse. Rien ne s'est passé, il s'est rendormi quelques temps. Supporter le froid était devenu une activité à part entière.

Il ne se sent ni triste, ni désespéré. C'est une autre humeur, qu'il ne connaît pas. Un bruit blanc. L'image qu'avait l'écran de télé, la nuit, quand il était plus jeune. Un brouillard de points, un chuintement. Il n'y a plus que le froid qui lui paraisse bien réel.  Le troisième jour, il est descendu à pied jusqu'au Père-Lachaise, où il est entré dans le métro, en passant derrière une femme âgée qui l'a fusillé du regard après qu'il s'est collé à elle. Il a suivi sur quelques pas la foule de ceux qui prenaient une correspondance, puis il a ralenti, a découvert avec stupeur que ses jambes ne le portaient plus. La faim le tenaillait. Il s'est assis sur le quai. Peut-être a-t-il perdu connaissance, peut-être a-t-il somnolé. Quelqu'un s'est assis à côté de lui. Un type jeune, le menton en galoche, la peau burinée et les ongles noirs de crasse, d'une saleté incrustée depuis des années, quasiment un tatouage. (...)

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