chronique ordinaire d'un scénariste parisien ...

Publié le par Brigitte Sabban-Weyers

Je suis en train de faire ce que j’aime le moins faire, càd faire du rangement dans mon bureau. Et cela me déprime souvent. L’exercice étant fastidieux, je ne peux m’empêcher de relire les courriers des projets envoyés à d’éventuels partenaires diffuseurs ou ceux échangés avec de scénaristes via cet outil extraordinaire qu’est internet. Je suis tombée sur un de ces nombreux échanges avec un ami scénariste. Henri* est un scénariste cinéphile, marié, deux enfants.

Comme j’ai eu beaucoup de plaisir à le relire, et que cela m’a beaucoup fait rire, j’ai demandé à mon ami si je pouvais reproduire son courriel. J’ai obtenu son accord mais j’ai, bien évidemment, gommé les noms de certaines personnes pour que ne pas les exposer. Le but étant de vous faire partager le style et l’humour de mon ami et non de me moquer de ces dites personnes (quoique !!).

Une date pendant l’été 2005

Chère Brigitte,

Si ça peut te consoler, tu n’es pas la seule à avoir passé une journée négative : aujourd’hui a été sans doute pour moi la pire journée de l’année.

Je n’ai pas dormi cette nuit, j’avais trop chaud. J’ai marché dans la cuisine en pestant contre Zelznik* (*le nom de ce producteur a été modifié par mes soins, hihi !) avec lequel j’avais une nouvelle réunion imaginaire : j’avais simplement noté que çà faisait des mois que je travaillais sur le scénario avec Françoise* (réalisatrice et scénariste de films) sans avoir aucune compensation financière en retour. Ma haine étant en partie suscitée par la lecture d’un long article apparu sur le « Libération » de hier, où une juriste experte en droits d’auteurs (Marcela Iacub) dressait un état des lieux lamentables sur la situation catastrophique de la rétribution des scénaristes en France, où leurs droits d’auteurs sont régulièrement bafoués en dépit de la prétendue exception culturelle du pays en la matière. J’ai gardé l’article, le constat est terrible, et j’en suis une victime.

Morale : ne jamais lire les journaux avant de s’endormir…

Ce matin je me suis levé avec la gueule de bois. Je n’avais pourtant bu que deux coupes de rosé hier soir chez Sarah* où on avait été dîner (excellent menu en passant, acheté chez un traiteur mais que Sarah* a tenté de faire passer pour sien car il parait que les femmes sépharades se considèrent diminuées si elles ne savent pas cuisiner-fin de parenthèse). J’avais donc bu très peu et je me réveillais dans l’état de quelqu’un qui aurait avalé trois litres et demi de piquette. En plus, j’avais attrapé un gros rhume dans la nuit.

C’est dans cet état que je me suis rendu à la réunion bien matinale organisé par les Parkinson* (pardon Parinson* de Zelda Films*)en compagnie de Michel Doug* (réalisateur). Ils vont apparemment reprendre le projet du polar mais veulent une réécriture totale pour ne pas payer les droits de la BD originale. Avant que je n’ai le temps de réagir, un planning a été établi : présentation d’un pitch pour le 1er septembre (et mes vacances alors ??) ; livraison de la version 1 pour le 1er octobre (4 semaines pour écrire ex-novo un scénario ! (voilà ce qui se passe quand on se fait passer pour un génie prolifique et rapide) ; petite (petite, c’est-à-voir !) réécriture de la version 2 pour fin octobre et début préparation pour la fin de l’année. (il y aura quand même un jour de retard pour assister aux funérailles d’un des auteurs, mort de stress entretemps). Bien évidemment, ils me payent ; mais comment évaluer l’indemnisation de la veuve du scénariste et de ces deux enfants en bas âge ?

Avant la conclusion de la réunion, les producteurs ont tenu à nous remettre deux fiches de lectures de notre scénario actuel qu’ils avaient commanditées : l’une était positive, l’autre négative. Malheureusement, la fiche positive était signée Sophie Gérard*, une bonne copine connue chez Salomon Barrat*, laquelle, m’ayant téléphoné deux semaines plus tôt pour m’annoncer qu’elle allait juger l’un de mes scénarios, avait reçu de ma part des instructions très précises contre une invitation au restaurant doublée d’un cinéma (film choisi par elle). L’autre fiche, signée par un certain Alexandre Enbref* - que, ne connaissant pas, je n’avais pas eu le temps de corrompre – n’était pas négative : elle était assassine ! dans une analyse très détaillée, et formidablement argumentée, le lecteur nous traitait de « pseudo-hitchcokiens qui ont appris par cœur les manuels de scénario et ont vu beaucoup de films mais n’ont aucun message à délivrer sur la vie », et qualifiait le climax « d’épouvantable ».

Est-il utile d’ajouter que, par une journée qui avait si bien débuté- la lecture de cette fiche m’a un peu déprimé ?

D’autant plus que je fais, hélas, partie de ces scénaristes qui , quand ont leur fait des compliments, se disent : « il a peut-être raison ». Et quand on leur fait des critiques, pensent : « il a sans doute raison ».

De retour à la maison, je tombe sur un message de Clara D*(réalisatrice) qui me demande « comment ça va ? » et qui m’annonce qu’elle part en vacances le 2 juillet, ce qui veut dire que je suis censé livrer le scénario fini dans une semaine (by the way, il ne me reste plus que 60 pages et je ne sais toujours pas comment l’intrigue se termine !)

Voilà…

Ah oui, j’oubliais : Raphaëlle D*, la productrice de mon court-métrage, m’appelle pour m’annoncer que nous avons eu le COSIP (ou gossip ?), et que donc le budget du film passe de 15 000 à 30 000 euros. Ce qui veut dire que je suis obligé de faire le film. S’agit-il vraiment d’une bonne nouvelle ?

Ciao,

Henri

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K
Super drôle... jusqu'au moment où on se dit que c'est vrai...
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B
le quotidien… très drôle…
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